A la découverte de la Comédie-Française
Littérature et société est un des enseignements d’exploration proposés en Seconde. Au programme : observer le monde avec ses pleins et ses déliés, ses cachots et ses horizons, ses points de rouille et ses révolutions. C’est un voyage dans le temps. Nos guides – Mme Mouard et M. Renault – en ont au moins cerné l’espace : on se bornera à la visite de notre Capitale. Notre mission : derrière chaque pierre, trouver une plume. Des exemples : la Comédie-Française nous met sur la piste de Victor Hugo, La Tour Eiffel sur les traces de Guy de Maupassant…
Parés pour la visite ? Alors c’est parti. Suivez-nous. Nous vous donnons rendez-vous une fois par mois. Nous sommes des chercheurs d’art, prêts à toutes les enquêtes et tous les sourires pour vous toucher en plein cours !
Pour cette troisième fois, nos trois rédacteurs en chef (qui changent chaque mois) – Svetlana Devaux, Emilie Bénard et Mathilde Chasset – font pleins feux sur la Comédie-Française. Bonne visite !
La prochaine fois, on vous offre un florilège d’anecdotes. A bientôt.
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Le théâtre au XVIIème siècle s’éclate en trois troupes
Au XVIIème siècle, trois troupes se sont créées : L’hôtel de Bourgogne (1548), La troupe du Marais (1634) et l’Illustre-Théâtre (1644).
A l’origine de l’hôtel de Bourgogne, il y a les confrères de la passion qui sont essentiellement des gens peu cultivés. Peu à peu, ils prennent conscience qu’ils ne peuvent plus assurer les spectacles et décident donc de louer leur salle. De nouvelles troupes commencent à s’installer. Des comédiens se succèdent. Une compagnie se forme. Elle obtient en 1611 le titre de Troupe Royale des Comédies. Pensionnée par sa Majesté, elle joue volontiers Racine et compte Bellerose parmi ses plus grands acteurs. Bellerose ? Ce nom vous dit quelque chose ? Mais oui ! C’est l’un de ceux que, dans la pièce de Rostand, Cyrano moque dans l’acte I.
A la tête de la troupe du Marais dirigée par Charles Le Noir, on loue le célèbre acteur Montdory. Celui-ci passe, en 1629, par Rouen (à Barentin, un théâtre porte son nom). Il rencontre Pierre Corneille. Il est séduit par ses vers : il emporte ses pièces à Paris et les crée en changeant souvent d’endroit. Mais où ? Eh bien, à l’époque, une mode est passée : on joue de moins en moins au jeu de paumes – si bien que leurs salles sont aménagées et dédiées aux représentations théâtrales.
Ah ! L’Illustre-Théâtre… C’est la troupe que Molière fonde en 1643. Celui-ci, ne trouvant aucun lieu disponible pour se produire, entend ouvrir un troisième théâtre à Paris. Mais on manque d’argent. On loue pourtant le 12 septembre 1643 le jeu de paume des Métayers « sis, sur le fossé et proche de la porte de Nesle » (actuellement rue Mazarine et rue de Seine). On le transforme en théâtre et l’ouvre le 1er janvier 1644. C’est un échec total. Après quelques autres tentatives déséspérantes et un emprisonnement au Châtelet pour n’avoir pas payé la facture de ses chandelles, le futur Molière va quitter Paris pour une tournée provinciale qui durera plus de douze années. Même qu’il va passer par Rouen… Et là, c’est le drame !
Emilie Bénard – toujours à la recherche des vérités sur notre monde – a enquêté :
« De plus en plus d’indices portent à croire que Molière n’aurait rien écrit ! Rien ! Le Rouennais Pierre Corneille aurait été son « nègre » ! De nombreux éléments appuient cette théorie pourtant violemment réprimée : tout d’abord, aucune trace de la plume de Molière n’aurait jamais été retrouvée – ce qui pousse certains à sous-entendre que notre champion ne savait même pas écrire… Ensuite, Corneille pouvait apprécier la situation. Celui-ci, génie de l’écriture mais piètre orateur, homme sans grand charisme, avait bien besoin de l’aura de Molière pour donner un nouveau souffle à sa carrière qui prenait les courants d’air. De plus, qui avait justement brisé par leurs sarcasmes les espoirs littéraires de Corneille ? Les Précieuses de l’époque ! Or, Molière – qui ne les connaissait absolument pas – a précisément composé une satire contre elles… Coïncidence ? Enfin, l’envol de la carrière de Molière coïncide avec la fin de celle de corneille : cela ne fait qu’ajouter à la suspicion…
En conclusion, nous savons que, quoi qu’il arrive, les morts ne parlent pas (enfin, il nous semble) : nous aurons bien du mal à leur tirer les vers du nez ! Si la supercherie est réelle, cela ne nuit pas à cette certitude : Molière reste un boss de la mise en scène et un comédien qui a révolutionné le jeu théâtral ! »
Molière, un malade bien réel
Le 17 février 1673, Molière et sa troupe donnent la quatrième représentation du Malade imaginaire. Molière y tient le rôle d’Argan et se sent plus fatigué qu’à l’ordinaire par sa « fluxion de poitrine », mais il refuse d’annuler la représentation : il veut que ses comédiens soient payés ! Pris d’un malaise sur scène, il est « si fort travaillé de sa fluxion qu’il eut de la peine à jouer son rôle » et meurt quelques heures plus tard.
Selon le témoignage de La Grange, un de ses plus proches comédiens et amis, la mort serait survenue sur les dix heures du soir au 40, rue Richelieu. L’archevêque de Paris permet – fait rare pour un comédien – au curé de Saint-Eustache « de donner la sépulture ecclésiastique au corps du défunt Molière », à condition néanmoins que ce soit avec deux prêtres seulement, hors des heures du jour, et qu’il ne se fasse aucun service solennel.
Avis de naissance de la Comédie-Française
A la mort de Molière en 1673, sa troupe fusionne avec celle du Marais. Ces deux compagnies n’en font plus qu’une qui s’installe dans l’hôtel Guénégaud. Louis XIV finit par trouver stupide la concurrence des deux structures qui font encore l’actualité : le 21 octobre 1680, il décide de fusionner la troupe de L’hôtel Guénégaud et celle de l’hôtel de Bourgogne. La Comédie-Française est née ! Il lui faut un emblème ; ce sera une ruche. Il lui faut une devise ; ce sera « simul et singulis ».
Le tout est bien sûr la métaphore d’une maison foisonnante de travail ; l’effort de chacun profite à l’ensemble et réciproquement : on vante un esprit à la fois individualiste et communautaire. Le comédien, en tant qu’être d’un talent unique, est au service d’un tout, la troupe.
Le saviez-vous ?
Les comédiens, entre eux, ne disent pas « gauche » ni « droite ». Ils préfèrent « cour » et « jardin ». Cette expression est liée à la Comédie-Française… Eh si ! Condamnée par l’histoire à changer de lieux plusieurs fois, celle-ci est installée à partir de 1770 dans la salle des machines du palais des Tuileries. Or, cette salle donne sur un côté cour du Louvre et de l’autre sur le jardin des Tuileries.
Le public a ce moyen mnémotechnique pour se souvenir du nom de chaque côté de la scène : se rappeler les initiales de Jésus-Christ ou Jules César (« J.-C. » comme Jardin/Cour).
Le comédien, lui, a cette autre astuce : sur scène, son cœur est côté cour, donc côté gauche.
Une relique à deux bras
Tous les spectateurs de la Comédie-Française l’ont forcément remarqué : à droite de la grande cheminée du Foyer public, un vieux fauteuil est protégé par une cage de verre. Ce vieil objet a une longue, glorieuse et pathétique histoire. C’est celui dans lequel Molière jouait, le 17 février 1673, une quatrième et ultime fois le rôle du malade imaginaire. Lorsque la comédie du Malade imaginaire a été reprise, le 3 mars, le fauteuil de Molière a accueilli le nouvel Argan, La Thorillière. On raconte que, dans l’intervalle des représentations, le fauteuil était déposé dans la salle d’assemblée des Comédiens : c’était le siège d’honneur, réservé au comédien le plus éminent de la troupe. II a figuré en scène lors de l’inauguration du théâtre des Comédiens français au Faubourg Saint-Germain (l’actuel Théâtre National de l’Odéon), le 12 avril 1782. Le temps a passé. Le cuir s’est usé… La relique ne paraît plus dorénavant sur scène qu’au jour anniversaire de la naissance de Molière, tous les 15 janvier.