12 Nov

En hommage à Pierre Frémaux

Dimanche soir, il faisait froid. Quoi de plus normal pour un 10 novembre, au soir baigné par les averses cinglantes et les coups de vent détrempés. Il a signé son propre armistice avec un jour d’avance, dans la discrétion et la douleur d’un infarctus, rendant les armes qu’il avait fourbies toute sa vie : celles de la paix, de la culture et de l’amitié.

Nous le revoyons tous : le regard passant au-dessus de la fine monture de ses lunettes dès lors qu’il accédait à une petite vérité ou à un bon mot ; l’œil malicieux et perçant de l’esprit, féru d’humanisme, qui ne peut se contenter d’à peu près ; la voix légèrement chevrotante du philosophe qui ne renonce jamais à trouver le mot juste, approchant par cercles concentriques ce qui ne peut et ne doit être transmis que lumineux.

Combien de générations d’élèves ont mesuré qu’ils avaient en face et à côté d’eux, un grand ? Ce pédagogue, παιδαγωγός, qui prend le jeune où il en est, quasiment par la main, pour le conduire consciencieusement aux douces révélations de l’intelligence. Et l’intelligence, il en avait la modestie et la puissance, à la suite de bien d’autres qui ont fait notre Institution, et dont nous sommes, trop souvent, les indignes successeurs.

Une bibliothèque qui brûle, une amitié qui s’évanouit. Lui qui savait parler de la précocité et de ses labyrinthes complexes, lui qui savait que le plus grand ennemi de la culture est sans doute l’oubli, et qui dédicaçait alors : « Le temps n’est plus où un La Rochefoucauld, au sortir d’une conversation avec Pascal, s’en allait entendre une homélie de Bossuet » ; lui qui aimait tant, d’un air faussement candide, cultiver son jardin et lançait, parlant du cerisier que nous lui avions offert pour son départ à la retraite, voilà quasiment sept ans : « M. de Vignola se porte comme un charme » ; lui qui se battait pour que ne soient oubliés le panache et la raison d’être de ces chères humanités.

Oui, dimanche soir, il faisait froid. Cher Pierre, tous, nous aurions aimé vous dire une fois de plus merci, nous aurions aimé prendre le temps d’un déjeuner grâce à un pari (presque volontairement) perdu, nous aurions aimé échapper, ne serait-ce que quelques petites heures, au tempus fugit, pour vous écouter, encore une fois, nous transmettre, à petites lampées, une leçon de sagesse.

Que la Sagesse l’accueille, d’une chaleureuse accolade : « Entre, Pierre, dans la joie de ton maître ».

Que Christine et Alicia trouvent ici l’expression sincère et chaleureuse de nos condoléances émues, au nom de tous.

JDE