Authentiques témoins de l’espérance
Mgr Dominique Lebrun répond aux questions sur le culte catholique en temps de confinement. Voici l’intégralité de l’interview :
Le Conseil d’État a rejeté le recours des évêques de France qui souhaitent pouvoir célébrer la messe en public. Comment réagissez-vous à cette décision du juge administratif ?
Personnellement, je remercie le Juge d’avoir dit le droit et éclairé la situation : d’une part, le Gouvernement a la responsabilité de prendre les mesures sanitaires qui doivent s’appliquer à tous, y compris à la vie des communautés de toutes confessions religieuses ; d’autre part, l’État doit respecter la liberté de culte comme une liberté fondamentale et, aussi, la responsabilité propre des autorités religieuses.
Cela a conduit le juge à dire explicitement que les mariages religieux sont autorisés à six personnes, ce qui n’apparaît pas dans le décret. Il faut comprendre que les célébrations essentielles comme un baptême pourraient l’être aussi. Mais il faut exclure toute fête comme tout rassemblement au-delà. La seule exception est faite pour les obsèques qui peuvent être célébrées avec trente personnes.
Le plus important dans la décision du Conseil d’État est la demande du juge concernant la prochaine évaluation des mesures sanitaires promises par le Gouvernement. Cette nouvelle évaluation « suppose l’engagement à bref délai d’une concertation avec l’ensemble des représentants des principaux cultes, destinée à préciser les conditions dans lesquelles ces restrictions pourraient évoluer » (Extrait de l’Ordonnance du Conseil d’État en date du 7 novembre 2020, n. 21). J’espère qu’elle aura lieu.
Souhaitez-vous célébrer les messes en public ? N’est-ce pas une revendication « catégorielle » des évêques ?
Évidemment, je souhaite célébrer la messe en public. C’est ma mission et ma joie : rassembler les disciples de Jésus pour nous unir, dans la prière, à l’offrande de Jésus à son Père, « pour la Gloire de Dieu et le salut du monde ». Je ne le vis pas comme un désir égoïste mais comme un service pour la communauté humaine.
Cela dit, j’accepte le principe de restrictions temporaires pour la santé de tous. Les autorités légitimes de notre pays ont la responsabilité de nous indiquer les gestes et attitudes en vue d’éradiquer la pandémie. St Paul engageait la communauté chrétienne à se soumettre aux autorités publiques pour ce qui les regarde (cf. Rm 13, 1 ; Ti 3, 1). Nous devons observer les recommandations des autorités même si nous n’avons pas la garantie absolue qu’elles sont dans le vrai. Qui sait exactement ce qu’il faut faire ?
J’ai conscience qu’il est plus facile pour moi d’accepter les restrictions imposées car je peux continuer de célébrer la messe chaque jour « pour la Gloire de Dieu et le salut du monde », en union avec les fidèles. Mais, comme tout prêtre, je souffre car mon ministère, ma mission s’incarne dans la rencontre effective avec le peuple de Dieu qui donne tout son sens à la messe et aux sacrements.
Certains fidèles jugent la demande des évêques excessive au regard de la situation sanitaire. D’autres, au contraire, réclament qu’ils continuent de célébrer publiquement. Comment conjuguer la santé publique et la liberté de culte ?
La santé, c’est la vie. Et lorsqu’elle est en difficulté, nos réactions sont parfois surprenantes, peut-être moins rationnelles. J’accueille bien volontiers ceux qui pensent excessif de demander au juge d’éclaircir une décision. Probablement pensaient-ils que j’étais dans une attitude de réclamation sans restriction du culte. Ils rappellent la grande valeur humaine et chrétienne de prendre soin d’autrui et de soi-même.
J’accueille également volontiers ceux qui pensent qu’il faudrait passer outre des interdictions. Ils rappellent que la foi ne peut pas être mise en cause par des lois humaines. Ils s’appuient sur des imperfections de règles imposées successivement et dans l’urgence. Sans doute, réagissent-ils ainsi aux autres restrictions dont les catholiques sont victimes dans l’espace public ou dans les milieux professionnels.
Pour ma part, j’essaie de garder le cap, en interrogeant chaque jour mon propre cœur. « M’aimes-tu ? », demande Jésus à Pierre (Jn 21, 15). Mes décisions, mes pensées, ma prière sont-elles dirigées par l’amour dont Dieu m’aime ? Expriment-elles l’amour auquel Dieu m’appelle envers tous, en particulier les plus souffrants, donc les malades, les personnes fragiles ?
J’invite les membres de nos communautés à ne pas se disputer sur ce sujet comme sur les autres. C’est difficile quand la santé est en jeu. Ayons une attitude bienveillante envers ceux qui ont une autre opinion que nous, d’autant que, franchement, le discernement est difficile.
Lors du premier confinement, nos pasteurs ont beaucoup insisté sur la « communion spirituelle » ? Quel sens a-t-elle ?
La situation exceptionnelle invite à approfondir la communion spirituelle. À vrai dire, la communion sacramentelle est une communion « spirituelle » c’est-à-dire par le don de l’Esprit Saint.
Les catholiques croient que l’incarnation, c’est-à-dire la venue en notre chair du Fils de Dieu à un moment donné de l’histoire, dans un pays particulier, est une réalité bienfaisante voulue par Dieu. Et cette décision divine se prolonge en quelque sorte dans les sacrements, en tant qu’événements à un moment donné, dans un lieu particulier, par la grâce de l’Esprit Saint.
Dieu a pris le risque d’entrer dans l’histoire humaine et continue ce chemin, qui est un chemin de serviteur, un chemin d’humilité, un chemin de liberté. Je suis pris de vertige quand je pense à ce que je fais dans la célébration de l’Eucharistie et à ce qui advient : avec ma liberté et mes contingences, je prends un peu de pain, je prie l’Esprit Saint avec les fidèles, je prononce quelques mots au nom de Jésus, et il se rend présent, se faisant nourriture, mettant en œuvre ses propres paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (Jn 6, 53).
Ce chemin vertigineux offert aux disciples de Jésus les associe à l’amour fou que Dieu manifeste à l’humanité, et en fait des ambassadeurs de cet amour pour la vie quotidienne. Dans la prière du Notre Père, nous disons : « Donne-nous notre pain de ce jour ». Il est clair que si l’Eucharistie est une nourriture c’est pour nourrir la mission d’aimer à la manière de Jésus dont rien ne peut nous dispenser.
C’est peut-être surtout cela « la communion spirituelle » : s’unir avec son cœur à l’offrande d’amour de Jésus en le manifestant dans l’amour quotidien, et en lui demandant pour cela la force de sa grâce qui est habituellement donnée dans l’Eucharistie.
Serions-nous donc privés de toute réalité spirituelle ? Ne peut-on pas vivre sa foi chez soi ?
L’Eucharistie est bien « la source et le sommet de toute la vie chrétienne » (Vatican II, LG 11) mais nous recevons tant d’autres dons tout autant spirituels qu’il serait dommage de faire grise mine. Je pense au peuple de Dieu en exil. Dans son épreuve, il recevait tant de cadeaux de la part de Dieu : sa Parole, la nuée lumineuse, la manne, l’eau jaillie du rocher, des pasteurs, le peuple lui-même (cf. Ex 16-20).
Nous redécouvrons l’Église domestique c’est-à-dire chez soi, quand deux ou trois sont réunis en son Nom (cf. Mt 18, 20). Des couples, des familles ou certains membres de la famille ouvrent l’Évangile ensemble. Quel trésor que la Parole de Dieu accueillie dans son foyer ! Avec bonheur, des catéchistes, par visioconférence, distribuent aux enfants la manne chaque semaine. Des pasteurs envoient une homélie comme un trait de lumière qui ouvre des chemins. Pensons aussi à la « veille » assurée par tant de personnes seules qui prient dans le secret de leur maison comme Jésus le conseille (Mt 6,6). Non, Dieu n’abandonne pas son peuple ! Laissons-nous surprendre par les cadeaux de Dieu dans notre « exil », que j’espère bien provisoire.
Le Conseil d’État, en interprétant le décret du Gouvernement, a explicitement affirmé que les fidèles peuvent se rendre dans leurs églises ouvertes sans limite de distance. Il indique qu’il faut cocher sur l’attestation dérogatoire « motif familial impérieux ». À croire que le juge sait que nous sommes une famille et qu’aller à l’église est impératif ! Pour ma part, j’encourage vivement ces visites, en particulier auprès de Saint-Sacrement. Il y a là une belle occasion d’un cœur à cœur avec Jésus. Vous pouvez aussi prendre rendez-vous avec un prêtre pour le sacrement de réconciliation.
Enfin, il y a la présence de la communauté qui continue sa mission. L’attention des uns aux autres est d’un grand prix. Je voudrais saluer ceux qui téléphonent, ceux qui visitent leurs voisins, sans oublier les aumôniers des hôpitaux et des Ehpad. L’Église continue sa mission. Bien des rencontres, qui seraient trop difficiles en visioconférence, peuvent se tenir à l’instar des réunions professionnelles, en étant très attentifs aux mesures barrières. S’il faut choisir et établir des priorités, n’oublions pas que la charité est première ! Les associations caritatives ne sont pas fermées !
Que souhaitez-vous désormais ? Une reprise de la concertation avec l’État ?
Je souhaite bien entendu que le virus soit vaincu. Je prie pour cela. Je souhaite que nous vivions ce temps en percevant notre profonde vulnérabilité, physique, psychologique et spirituelle. Elle porte un double appel : celui de chercher Celui qui nous sauve, et celui de travailler à la fraternité. Le premier appel m’invite à me tourner vers le Christ Sauveur qui me donne la vie éternelle, et le second vers nos frères et sœurs, composante de cette vie éternelle ici-bas. C’est la joie de l’Évangile.
La concertation avec l’État est un élément qui peut être décisif pour la fraternité. Mais nous portons tous ensemble la responsabilité de la société. C’est là que la prière commune est importante, une prière qui se fait large. Disciples de Jésus, prions de manière plus intense, en particulier le dimanche où nous fêtons la résurrection de Jésus, pour être d’authentiques témoins de l’espérance.
Propos recueillis par Fabrice Madouas – 11 novembre 2020.