A bout de souffle…
Pendant longtemps, le cinéma a été constitué d’images photographiques présentes sur une pellicule, un film. Or, ce terme de film, utilisé si couramment aujourd’hui indépendamment du support physique de ce que nous regardons, fait désormais figure de métonymie in absentia. Puisque la pellicule n’est plus avec le numérique.
Lorsque la camera obscura régnait encore, le montage relevait d’une opération mécanique fastidieuse, celle de couper des morceaux de ce film pelliculé afin de former, patiemment, un métrage long de plusieurs kilomètres parfois.
Ce qui a occupé le ciné-club Jean-Paul II ce 7 octobre 2021 relève justement de la jonction entre ces bandes gélatinées. La coupure entre deux plans, concrètement deux morceaux de pellicules, peut-être brutale. Les images se succèdent alors rapidement, pouvant alors produire un effet de syncope chez le spectateur, laissé comme à bout de souffle par cet enchaînement.
Mais les transitions peuvent aussi être produites avec délicatesse. L’exemple paradigmatique fut ce soir-là La Forteresse Cachée d’Akira Kurosawa, tourné en 1957. À l’issue de la projection, les membres du club ont su finement analyser l’originalité de la matière mouvante qui s’offrait à leur regard, notamment A. Jutard et C. Hauville.
A. Kurosawa ne fut jamais victime de ce monstre délicat qui confine à la paresse. Et le fruit de son labeur transpire encore aujourd’hui dans la fluidité de ses transitions. Les plans se succèdent avec une lenteur calculée, dans un mouvement latéral empreint d’une virtuosité technique devenue dès lors idiosyncrasique. Le montage confère à l’œuvre son eurythmie parfaite.
Bien sûr, cette variété de transition ne nous est pas étrangère. Nombre de réalisateurs états-uniens, moins inspirés, ont tenté de copier cette innovation visuelle majeure. Comme nos internes ont pu le constater, et notablement G. Leroy, celui qui a réalisé La Guerre des étoiles fait partie de cette catégorie. Non seulement la forme doit beaucoup au Japonais, mais le fond, dans un même élan, semble lui aussi très inspiré.
Sans doute prophétique ici, Jean Cocteau avait semble-t-il raison de revendiquer la primauté de l’expiration sur l’inspiration. Son génie s’incarnait dans son expiration si particulière, lui qui se met en scène condamné à dessiner éternellement son autoportrait dans Le Testament d’Orphée. Ou alors peut-être que, maintenant comme jadis, « graecia capta ferum victorem cepit, et artes intulit agresti Latio », comme le remarquait déjà si justement Horace dans ses Épîtres…
Julien DEHUT