Du côté du Ciné-Club…
C’est avec une très grande joie que les internes réunis in contione ont échangé avec vous autour de l’Internat et des transformations présentes et futures de l’Institution. Un moment informel d’iségorie, à la croisée de l’ekphrasis et l’hypotypose, où chacun put se représenter dans un même élan ce à quoi l’Internat ressemblait il y a peu, mais aussi ce que va devenir l’Établissement très prochainement. Cette perspective diachronique s’est sans doute révélée particulièrement saisissante pour Axel Le Jouan et Aymeric de Marguerye, internes depuis la Quatrième et dont la scolarité a accompagné une partie de ces changements.
Il pourrait alors se poser pour eux un de ces problèmes insolubles, presque un paradoxe stoïcien. Plutarque dans ses Vies Parallèles, notait déjà :
Le navire sur lequel Thésée s’était embarqué avec les jeunes gens et qui le ramena sain et sauf avait trente rames : les Athéniens l’ont conservé jusqu’au temps de Démétrios de Phalère. Ils en enlevaient les planches quand elles étaient trop vieilles, et les remplaçaient par d’autres, plus solides, qu’ils fixaient à l’ensemble. Aussi, quand les philosophes débattent de la notion de croissance, ils voient dans ce navire un exemple controversé : les uns soutiennent qu’il reste toujours le mème, les autres disent qu’il n’est plus le même. (XXIII.1, trad. A.-M. Ozanam)
Or, cet échange vespéral de qualité a mis en évidence l’importance des changements réalisés à l’Internat. L’une de ces choses qui ont changé se produit certains jeudis soir, en salle télé. Il s’agit du ciné-club. Cette fois les internes ont débattu autour d’une œuvre aussi difficile qu’incontournable : M le maudit de Fritz Lang.
Ce film de 1931 s’inscrit dans l’expressionnisme allemand, un mouvement dont la dynamique naît d’une autopsie du réel, comme on le lit parfois. La narration tant filmique que fictionnelle ne doit pas faire écran au sujet réel du film qui se révèle être la société allemande de l’entre-deux-guerres. Le meurtrier d’enfant sert ici de prétexte pour mettre en évidence les dysfonctionnements d’un appareil d’état à bout de souffle. Les internes, et particulièrement Tristan Delalonde, ont bien repéré les innovations que comporte la mise en scène, notamment la place des motifs sonores. Le célèbre sifflement de l’assassin permet ainsi au réalisateur de suggérer les atrocités commises sans jamais les montrer.
Le parallèle avec les productions filmiques d’aujourd’hui s’est alors imposé aux cinéphiles. Il se fit jour dans cette modeste salle obscure, obscuris vera involvens sans doute, que nous constations là une différence majeure avec un certain cinéma états-unien contemporain qui tend à se complaire parfois dans une monstration de la violence, monstration bien souvent privée de sens et presque toujours inutile du point de vue de la mise en scène.
À la suite de ces différents débats intenses, mais sans ratiocination, les internes sont retournés à leurs chères études, comme jadis et certainement comme demain. La question ancienne sur la nature du bateau de Thésée était ainsi toute rhétorique. Pour paraphraser cette exclamative que l’on prononçait traditionnellement lors de l’avènement d’un monarque : non, l’Internat n’est pas mort ; l’Internat est bien, persévérant toujours dans sa mission. Vive l’Internat donc, et vive les internes !
Julien DEHUT, Maître d’Internat