In memoriam – M. Robert Pinel
Robert PINEL, ancien professeur de l’Institution, est décédé ce lundi 23 septembre, âgé de 101 ans. Entré à Join-Lambert en 1969, l’abbé MORIN notait : « Bon professeur. Très attentif à ses élèves ». Ou son successeur : « M. Pinel exerce avec conscience et avec amour le métier qui est le sien. Il a la confiance de tous. ».
Je me souviens très bien de M. PINEL, professeur de Mathématiques ; c’était en 2nde C. Arrivé tardivement dans le métier d’enseignant, il était visiblement passionné par ce qu’il cherchait à nous transmettre, d’une méticulosité extrême, au regard perçant et bienveillant.
Je me permets de reproduire, ci-dessous, l’hommage rendu à M. PINEL, à l’occasion de son départ en retraite en septembre 1981. Que ces mots soient pour la famille de M. PINEL et de la part de toute la Communauté Éducative de l’Institution, la traduction de notre gratitude sincère et émue.
Jean-Dominique EUDE, Directeur
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« Monsieur Robert Pinel nous quitte ! », cette annonce brutale a surpris d’autant que la tradition veut qu’un départ à la retraite se fête à la fin de la dernière scolaire et non le jour de la rentrée suivante ; j’aurais aimé donner à ce départ un caractère plus solennel, bien mérité par les douze années passées à Join-Lambert au service des jeunes, mais M. Pinel en a décidé autrement en différant sa décision jusqu’au dernier moment.
Diplômé de l’École Centrale de Paris, Robert Pinel débuta sa carrière d’ingénieur dans une France exsangue qui, dans l’immédiat après-guerre, avait pour objectif de panser ses blessures et de construire un monde moderne plus pacifique ; Normand d’origine, il resta fidèle à sa région pour contribuer à l’effort de redressement économique ; toujours à la pointe de l’innovation, il s’intéressa très tôt aux remarquables propriétés des matières dites « plastiques » pour leur trouver des débouchés ; chercheur émérite, il eut, parmi les premiers, l’idée d’utiliser ces matériaux nouveaux pour imprimer des caractères par emboutissage ce qui rendait le message inviolable, l’idée de la carte de crédit, la « carte bleue » ou les autres, était née…
Inventeur, ingénieur de formation, Robert Pinel devenait gérant de société pour la mise en application de son brevet ; hélas, la concurrence ne reconnaît pas toujours les mérites des inventeurs indépendants et s’empare parfois sans vergogne des idées d’autrui ; la carte plastique s’est répandue dans le monde entier, la société Procap a disparu…
Déçu par cette expérience industrielle malheureuse, Robert Pinel décide alors de consacrer la dernière décennie de sa vie professionnelle à l’enseignement ; reprenant au pied levé la Terminale C, laissée vacante le 5 décembre 1969 par le décès de M. Delooz, il se voue à cette nouvelle tâche sans compter.
Toujours souriant et prévenant, il aura été, douze ans durant, un collègue des plus estimés, simple, droit, rendant de multiples services à chacun, partageant son expérience – je suis sûrement l’un de ceux qui profitèrent le plus de sa compétence dans de multiples domaines et vous me permettrez de le remercier personnellement pour son dévouement et ses conseils.
Marcel Pagnol disait dans la critique des critiques : « Il faut se méfier des ingénieurs, ça commence par la machine à coudre, ça finit par la bombe atomique ».
Certes, M. Pinel avait l’art de tout disséquer, observer, réparer, ou… utiliser ; qui ne connaît pas l’histoire de son chauffage solaire avec une batterie de vieux réfrigérateur ? Qui n’a vu le portique de levage dans le parking des professeurs, encadré par deux marronniers qui se souviennent du temps où une 2 CV pourrie se transformait en berline de luxe par le seul doigté Pinélien ? Qui ne se souvient aussi des expériences de montgolfières dans la vallée de la Risle ? Combien de téléviseurs attendent encore au laboratoire de physique d’être disséqués pour que lampes et résistances, capacités et transistors, soient réutilisés dans d’autres appareils… !
Bricoleur de génie, éducateur dévoué, chrétien cultivé, artiste à ses heures, Robert Pinel reste pour nous tous un ami. « Heureux celui qui a rencontré un ami digne de ce nom », nous sommes tous heureux d’avoir travaillé avec lui, et la communauté Join-Lambert toute entière lui souhaite, par ma voix et de tout cœur, une excellente retraite. »
Hubert MALANDAIN, Directeur des Études, Annuaire 1981-1982, pp. 19-20.
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Hubert a dit tout, très bien. Il faudrait ajouter la gentillesse d’un homme qu’on savait supérieur et qu’on n’appela jamais que « Monsieur Pinel ». Et son attention à autrui, volontiers teintée d’humour. Une intervention sur combien de transistors, en des temps où tout ne partait pas illico à la poubelle… Une vie sauve. La mienne. Je n’étais mis en tête de trifouiller les entrailles d’un mien téléviseur, après avoir soigneusement débranché la prise. « Halte, malheureux ! Il reste là-dedans de quoi vous percer la main ! » Au paradis des ignorants…
Pierre AUBÉ, 29 septembre 2019