120 ans plus tard…
Notre terme de complexité vient d’un verbe déponent latin complector, teris, ti, plexus sum dont l’un des sens premiers est celui d’embrasser, mais qui se charge précocement du sens plus abstrait de saisir ou de comprendre. Ce verbe est en effet composé à partir de plecto, is, ere dont le sens général est celui de tresser ou d’entrelacer. De là, le nom de complexus, us qui restitue au sens figuré, l’idée d’enchaînement ou de liaison c’est-à-dire ce qui trame une pensée comme on trame une toile.
Regarder un film de 1902 comme Le voyage dans la Lune de George Méliès pourrait alors apparaître complexe. Par bien des aspects, nous ne possédons plus les codes pour regarder un film muet en noir et blanc qui ne comprend aucun texte. Le format de l’image, le jeu des acteurs, la mise en scène, le scénario… tout cela constitue aujourd’hui un agrégat nimbé d’étrangeté dont il peut sembler difficile de saisir a priori l’intention. Notre culture cinématographique semble ainsi tissée à partir de films bien différents. C’est pourtant à cette œuvre que se sont confrontés les internes lors du ciné-club du 13 octobre.
Depuis l’enchaînement des plans, nos jeunes cinéphiles ont découvert que le cinéma ne s’est pas contenté de rendre le réel, mais de produire dès ses débuts une fiction, un spectacle de divertissement. Les décors, peints en noir et blanc, jouent habilement avec la perspective pour tromper le spectateur autant que l’émerveiller. Et déjà la caméra sait produire des effets spéciaux comme la disparition instantanée des habitants de la Lune dans un nuage de fumée. L’analyse pertinente de Messieurs Willemott, Singier et Jourdain de l’Étoile, notamment, témoignent, d’une profonde compréhension des codes cinématographiques d’aujourd’hui et d’alors.
Sans doute est-ce parce que ce film a inspiré de nombreux réalisateurs contemporains. L’analogie avec une séquence Thor : Amour et tonnerre de Taika Waititi a ainsi semblé cousu de fil blanc aux cinéphiles. Dans ce passage, le seul en noir et blanc du long-métrage, une mise en scène non réaliste de la perspective rappelle en effet beaucoup celle du film de 1902. La trame narrative se trouve ainsi entrelacée avec de nombreuses références. Évidemment, personne ne dirait que cette production contemporaine est complexe et en un sens elle a sans doute était conçue avec le dessein inverse. Pourtant, ce qui la constitue intrinsèquement est le fruit, comme bien souvent, d’un tramage dense dans lequel se mêlent des influences plus ou moins explicites. Saxa loquuntur donc. Il semble bien qu’il n’y ait pas que les pierres qui puissent parler.
Julien DEHUT, Surveillant d’Internat