À Dieu, Raphaël !
Tous, nous avons pleuré.
Dans notre chambre ou dans notre bureau, à la chapelle ou sur la cour, avec notre solitude ou avec d’autres, nous avons pleuré. On ne quitte jamais un ami sans verser de larmes, dit la chanson scoute ; et c’est vrai. Pour un ancien élève aussi.
Le « style JP2 », il l’avait fait sien.
La joie de vivre, avant tout, malicieuse, rieuse, omniprésente dans son regard ; et même dans sa poignée de main, vive et jubilatoire. Malgré toutes les misères du monde et les soucis de la vie, il nous avait épaté, par exemple, d’un « salto avant », un soir d’été et sur la cour d’honneur, trace de son passé de gymnaste ; éclat de rire général. Nous avons pleuré parce qu’avec lui, nous avons beaucoup ri.
L’entraide, ensuite, qu’il pratiquait généreusement, avec un supplément d’âme remarquable. Il était un Capitaine, un vrai, à la scoute, qui avait pris cette charge au sérieux et qui prenait soin de ceux qui lui avaient été confiés ; en juin dernier, il avait transmis sa capitainerie avec le mot juste. « Grapinou » était également un délégué de classe parfait, à l’écoute des frémissements de la classe et joyeusement impliqué dans le BDE. Nous avons pleuré parce qu’on pouvait compter sur lui.
La discrétion, enfin, qui sait repousser au loin la mondanité, la première place ou les honneurs ; il pratiquait sans réserve la loyauté ; il incarnait l’amitié. Jamais une histoire de bas étage, une manœuvre par derrière, une médisance calomnieuse ou empoisonnée de jalousie. Nous avons pleuré parce qu’il cherchait humblement mais avec ténacité les vertus des grands.
Alors, oui, c’est certain, nous avons pleuré parce qu’il incarnait le « style JP2 », avec beaucoup de panache. Et je me souviens de ce premier entretien – d’inscription – où j’avais été frappé par la profondeur de sa vie intérieure.
Interne, de la Quatrième à la Terminale – avec une infidélité de quelques semaines en début de Troisième… comme pour mieux revenir – l’Institution était sa deuxième maison. Il confiait, en début de semaine, son impatience de nous retrouver pour la cérémonie de remise du Bac, en décembre prochain.
Alors, nous avons prié. Pour lui, pour ses parents, sa sœur jumelle et ses proches, broyés par l’inacceptable inattendu. Le premier réflexe des internes, mercredi à 18h, fut de se retrouver dans le silence de la chapelle, pour présenter leur douleur dans une prière de sanglots. Sans mots inutiles, dépouillés, devant cette croix du soir, devant le scandale de cette croix, devant le scandale de la Croix. De même, jeudi matin, le Lycée était rassemblé, unanime – d’une seule âme, dans une chapelle archi-comble. Les internes avaient choisi de porter le polo pour lui faire honneur ; les textes écrits et lus par les camarades étaient des pépites d’amitié. Et comme le disait le père, lors de la Sainte Messe, le Seigneur nous apporte la consolation. Oui, la mort n’a pas le dernier mot ; au-delà du scandale et de l’insupportable, il y a, certes vacillante mais bien réelle, la petite et précieuse flamme de l’Espérance.
Oui, Raphaël était un bon garçon. Comme beaucoup, ici. Du reste, ces derniers jours ont été édifiants de délicatesse les uns pour les autres, j’en atteste ; les élèves internes surtout, anciens et actuels, ont manifesté, par mille messages, leur compassion, profonde et immense, pour leur cher maître d’internat ; tout comme cet interne de Troisième, hier soir, au porche, qui, avant de partir en week-end, s’est arrêté près de son directeur pour lui chuchoter à l’oreille : « Et vous, Monsieur, ça va ? ». Vous voyez, Raphaël, la relève de la gentillesse est assurée.
Que le Seigneur ouvre grand ses bras à Raphaël, dans une majestueuse accolade, et qu’Il apporte la paix à tous ceux qui sont bouleversés.
Jean-Dominique EUDE, Directeur