Summa cum laude !
Pause oxygénée dans un quotidien saturé ? Promenade intellectuelle, bien loin des marécages du prêt-à-penser ? Érudition à tous vents, à rebours des simplifications réductrices ? Tout cela à la fois ! C’est, en tous cas, ce que nous avons ressenti, le 11 décembre dernier, en assistant à la soutenance, par Julien DEHUT, maître d’internat à l’Institution depuis de nombreuses années, d’une thèse au titre à lui seul audacieux : Rhétorique et informatique – À la source des Humanités numériques.
Pas moins de 511 pages, sous la direction de Philippe Brunet, Professeur des Universités, pour aborder des thèmes aussi variés que le flux informationnel, l’écriture comme remède ou comme poison de la mémoire fragmentaire, les « avant-textes » perdus pour toujours, au rythme d’une modernité aux versions successives qui « écrasent », sans aucun d’état d’âme et encore moins de scrupules, les précédentes. Et de remonter à l’Antiquité, lui l’ancien historien passé (avec bonheur…) aux Lettres : Polybe, Aristote, Platon, Cicéron… en recourant aux textes des anciens, avec malice et délectation, dextérité et humour. On connaît « notre » Julien et ses « rapprochements hardis, voire abrupts », avec son idiosyncrasie si caractéristique, parfois protéiforme, souvent kaléidoscopique, toujours modeste, où toutes les dimensions interdisciplinaires se rejoignent : philosophique, philologique, historique et littéraire. Doué d’une propension à une herméneutique fine et ajustée, le doctorant pose in fine la question de la liberté individuelle et de sa place dans le monde informatique. Oui, comment éviter un certain suivisme qui ne ferait que les beaux jours d’un système unique ; comment prendre au sérieux les enjeux de cette confrontation humanités – informatique ?
Et nous voilà plongés, l’espace d’une soutenance, dans la naissance de l’imprimerie ou dans les scripturia, l’homme déployant sa pensée tant par la technique que par l’écriture. Face aux multiples écrans d’aujourd’hui, il avait déjà prévenu, en 2018, avec son billet (remarqué en hauts lieux) : « En finir avec Word ! Pour une analyse des enjeux relatifs aux traitements de texte et à leur utilisation »… Oui, l’homme reste-t-il le maître ou est-il progressivement domestiqué par une machine produite en Californie… ? La pensée reste-t-elle à la portée de soi et de l’autre, ou échappe-t-elle, via le cloud, à tout contrôle, à toute révision, et, partant, se transforme-t-elle, hydre incontrôlable, en une menace liberticide… ? Pas de paranoïa, juste une (re)mise en perspective pétrie d’humanisme.
Bref, Julien Dehut nous a invités à sortir de nos prisons dorées, par un débat intelligent, par un discernement volontairement (parce que factuellement) complexe autour du numérique et de ses enjeux, le zôon politikon se libérant ainsi de tout formatage, d’enthymème abusif, réinjectant de l’initiative, bref… en littéralisant les sciences – ce qui n’est pas la moindre des prétentions. En initiant une interface, « mĕa », notre collègue a démontré qu’un instrument – qui reste au service de l’homme – peut ouvrir des perspectives innovantes ; il nous a offert une vraie « leçon de liberté » (pour reprendre les termes d’un des rapporteurs), fascinés que nous étions devant une « facilité » quasi-pascalienne[1] , renvoyés à nous interroger sur nos « intuitions » aux coulisses trop commerciales.
Le jury a félicité l’impétrant ; évidence qui conclut ce travail titanesque ; lauriers auxquels nous joignons les nôtres, aussi sincères que chaleureux et émerveillés. Qu’on se le dise : Julien Dehut est désormais Docteur ès Lettres ! Et, sans doute aucun, summa cum laude !
Jean-Dominique EUDE, Directeur
[1] « Les meilleurs livres [ou thèses…] sont ceux [ou celles] que ceux qui les lisent croient qu’ils auraient pu faire. », Blaise Pascal, De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 29, Œuvres complètes, tome III, éd. J. Mesnard, p. 427.