Les Quatrièmes se promènent… en 1938 !
Il nous a été remis, ces jours-ci, un petit fascicule agrafé, aux pages jaunies… Succulente narration d’une « promenade » des élèves de Quatrième, aux Andelys, le dimanche 29 mai 1938… Merci, Christophe ; nous ne résistons pas à sa publication…
Dix heures, rue de l’Avalasse. Quarante-deux élèves et trois professeurs achèvent de s’entasser dans un grand car vert, au milieu de valises, de paquets et de certains accessoires inquiétants. Pourquoi un grand écu ? Pourquoi cet éperon que l’un des professeurs tient en main ? Chacun d’émettre son avis… Un roulement de moteur… Le départ du car met fin à ces mouvements divers.
La ville morose défile devant nous. Notre attention se porte en ce moment sur les programmes qu’on vient de distribuer : la journée s’annonce bonne ! Et cocasse, ce concours d’anomalies. Un tournant savant devant la piscine ; le car attaque la colline de Bonsecours. Au carrefour « La Grâce de Dieu », un triple hourra déchaîne les brouhahas, les rires, les chants à gorge déployée. Notre illustre professeur de « Maths », maestro en l’occurrence, règle les explosions de notre gaieté débordante. Il faut ménager les voix – les sucres d’orges au caramel circulent que chacun suce avec délice.
Pendant ce temps, le car multiplie les tournants sans qu’on s’en aperçoive. Le speaker annonce « A votre gauche, le Château Gaillard ». Un triple ban pour fêter l’arrivée, le car traverse Les Andelys et s’immobilise sur la place de l’église.
Alors, c’est le débarquement bruyant : tout le monde saute à terre, qui armé d’un broc, qui d’une épée, ou de quelques paquets. Chargés de valises, courbés sous les sacs de scouts, encombrés d’une large bonbonne d’eau et de bouteilles de vin, nous attaquons au pas de montagne le raidillon qui mène au château.
Nous voici maintenant au pied de la forteresse, éparpillés sur l’herbe verte : après la prière, chacun se met à l’ouvrage, qui consiste pour l’instant à se garnir l’estomac. Un peu à l’écart, Monsieur l’Abbé Touzé s’adonne à des mélanges savants pour doser une eau rougie excellente (vin « Morice, puisez donc ! ») mais inoffensive. Radis, œufs, jambon, tout est englouti ; quelques desserts circulent, offerts par des gourmets.
Une petite sieste faisait partie du programme : les amateurs de sport préfèrent les descentes le long du talus, sur ce qu’on s’accorde d’appeler le postérieur. Excellent digestif qui nous met en forme pour applaudir nos camarades chargés des divertissements : Monsieur l’Abbé Lefebvre nous les présente en une causerie spirituelle, coupée d’intermèdes variés : monologues, histoires marseillaises, chants repris en chœur. Deux heures : il est temps de monter au château – suivez le guide. Nous arrivons au terre-plein de la première enceinte.
Le ciel peu clément nous envoie de larges gouttes ; aux casemates crie un petit abbé et sous les voûtes centenaires se répercute la voix de « Radio Quatrième ». Le ciel s’éclaircit. Maîtres et élèves s’engouffrent par une poterne ; leur flot bouillonne un instant dans le donjon et vient s’échouer sur le mur de la deuxième enceinte pour écouter les explications du guide.
L’énorme tout semble jeter un regard bienveillant sur ces petits hommes qui viennent troubler sa solitude. Soudain, un son de cor ébranle les vieilles pierres : un héraut paraît, tout de noir habillé, qui annonce la venue du futur chevalier. Derrière le donjon, une musique se rapproche. Voici la cour…
Le roi s’avance, une couronne d’or sur la tête, la reine l’accompagne, charmante dans sa robe blanche. Vêtu d’or et de pourpre, le prince les suit avec sa jeune femme. Le futur chevalier, plein d’émotion, marche en silence derrière eux. Quatre pages à l’uniforme violet encadrent le cortège et portent les pièces de l’armure. L’archevêque et sa suite, en vêtements de cérémonie, ferment la marche.
Arrivée sur le lieu de la scène, la cour s’efface pour laisser la place d’honneur à l’archevêque. Devant le prélat, le bachelier à genoux écoute avec respect les monitions solennelles ; puis il reçoit son haubert, ses éperons, son heaume et son épée. A haute voix, il promet de défendre le faible et l’opprimé. Alors il reçoit du prince sur l’épaule le coup d’épée rituel : « Au nom de Dieu, de Saint Michel et de Saint Georges, je te fais chevalier ».
Au même instant, un hennissement nous fait lever les yeux : là-bas, au pied du donjon, un coursier robuste vient d’apparaître : c’est Veillantif, le vaillant destrier qui rit en montrant ses dents de carton. Le chevalier monte en selle, reçoit l’eau et la lance, laboure les flancs de son destrier, et s’élance, à moitié rassuré pour abattre la quintaine. Le mannequin résiste au premier assaut. Le cheval en éprouve même une déviation comique à la colonne vertébrale. Mais à la seconde charge, il doit s’avouer vaincu.
L’adoubement est terminé : l’habit noir du héraut disparaît dans le souterrain. La visite reprend, la pluie de même. Il faut encore s’abriter dans les casemates. Mais ce ne sera pas du temps perdu. Chacun de nous reçoit un instrument multicolore orné d’un large panache. Monsieur Lefebvre abandonnant ses calculs pour la musique nous enseigne l’art de jouer du mirliton. Sous sa direction, nous exécutons des morceaux dignes des plus grands musiciens.
Il faut maintenant rentrer en faisant le tour des ruines. Le long du fossé, moins heureux que Bogis l’audacieux, nous nous livrons à de longues recherches, sans résultat : la fameuse lucarne a disparu. Nous admirons encore les ruines imposantes de l’ouvrage avancé et au son discordant de notre orchestre, nous dévalons la pente-côte, laissant derrière nous la muraille songeuse.
Bien des estomacs sont vides, bien des langues altérées : les victuailles sont sorties des valises ; autour d’un professeur un essaim de verres s’agitent : de la citronnade ! Puisez donc !
Cinq heures ! C’est le dernier délai, il faut partir. Le château derrière nous disparaît à travers le feuillage. Dans le car, bagages et voyageurs regagnent leur place. Monsieur Lefebvre – debout sans toucher le plafond – reprend avec son porte-voix son poste de speaker. Un ban pour le château, un autre pour Les Andelys ; et pour les habitants les « au revoir » les plus aimables, scandés par les gestes des mirlitons. Bienveillants le plus souvent, moins souriants parfois – tel le cycliste – au mirliton ; de la voix ou du geste, les passants nous répondent.
Bonsecours ! Déjà… Un ban pour le chauffeur qui vient de gratter une Renault. Une dernière fois suggère une voix fatiguée : « Hip hip hip… Hourrah… » Les chants cessent : on est en ville.
Devant la porte de l’Institution, notre car déverse une cargaison fatiguée. La nuit effacera les fatigues, mais il en faudra d’autres pour ôter de nos mémoires le souvenir de cette journée de grand air et de franche camaraderie.
Rédacteurs : G. Lefebvre, G. Jousseaume, Ch. Masurel, Et. Rafin, Ch. Lefrileux, P. Seyer, J. Claveranne, J. Richard.
Notes documentaires : Organisation, speaker, chef d’orchestre : Abbé Lefebvre ; Guide : Abbé Lecoeur ; Metteur en scène : Abbé B. Touzé
Ont collaboré à la petite séance : P. Seyer, Y. Morice, J. Claveranne, J. Quelquejay, P. Bidart, J. Giffard, J.-M. Poupet
Scène d’adoubement : l’Archevêque : P. Delaporte ; le Roi : L. Quelquejay ; la Reine : X. Martin ; Le Prince : J. Nollet ; la Princesse : J.-L. Grandjacques ; le Chevalier : D. Lecoeur ; le Héraut : Y. Morice ; les Pages : Ch. Masurel, G. d’Arcier, P. Bidart, J.-M. Poupet ; le Cheval : J. Richard, G. Lefebvre ; Acolytes : P. Prentout et Et. Rafin